Autobiographie raisonnée

ou

je vais finir ceci le temps d'une tasse de thé.


On consacre une grande partie de notre vie à tenter de nous comprendre, sans réaliser qu’il suffirait de nous regarder à travers la clarté du fait social, loin de la carcasse des complexes que nous nous plaisons à reproduire indéfiniment.

À douze ans, après la lecture de Cent ans de solitude, une aspiration m’a habité : écrire des livres, sans rien connaître du métier d’écrivain. À cet égard, la littérature est devenue – et restera pendant au moins vingt ans encore – mon fait social total. Elle m’a offert un espace capable d’abstraire le monde, pour tout remettre en question et reconstruire. Pourquoi, alors, ai-je cessé de croire au salut littéraire ? Quoi qu’il en soit, cette aspiration venait au départ de la simple découverte du bien-être procuré par la lecture : ce miroir insoupçonné reflétant une image de moi à la fois lointaine et proche. C’était une compréhension qui dépassait mon âge, une intuition, celle du bonheur trouvé dans les mots.

Ce bonheur avait sans doute ses prémices dans la découverte du cahier de poèmes dactylographiés par ma grand-mère, tout comme dans l’océan de tradition orale qu’elle portait et dont j’étais le dépositaire privilégié. À cette époque, je m’initiais également à la photographie et découvrais Boris Vian.

Parallèlement, une autre aspiration habitait mon corps : celle de l’athlète, poussée jusqu’à son paroxysme jusqu’à mes seize ans. L’écriture m’a donné le recul nécessaire pour envisager l’indépendance, tandis que le tennis, incarnant un entraîneur exigeant, m’a donné les moyens. C’est en lisant La ville de Cavafy que j’ai rencontré un point de non-retour :

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« Tu ne trouveras point d’autre pays, tu ne trouveras point d’autre rivage. 
Cette ville te poursuivra toujours. 
Tu traîneras dans les mêmes rues, tu vieilliras dans les mêmes quartiers, et grisonneras dans les mêmes maisons. 
Toujours tu termineras ta course dans cette ville. N’espère point autre chose ; 
il n’y a aucun bateau pour toi, il n’y a aucune route… »


J’ai alors acheté les œuvres complètes de Marx et d’Engels, avant de déménager au Chiapas, où j’ai suivi en auditeur libre les cours de la faculté d’anthropologie et de sociologie de l’UNACH. Le rythme de ces jeunes, mes aînés, et nos soirées sans fin me fascinaient. Je me suis abonné aux publications du Parti communiste des États-Unis et dévorais les pamphlets de Bob Avakian. Un réflexe étrange me pousse aujourd’hui à rechercher son nom en ligne : est-ce que tout cela a réellement existé ?


J’ai aidé le Front Farabundo Martí de Libération Nationale à commémorer le massacre des jésuites au Salvador en 1989. Je récitais Galeano par cœur lors de chaque rencontre politique. À dix-sept ans, je migrais vers Tijuana, traversant le pays en trois jours, un périple durant lequel je lisais Le Quatuor d’Alexandrie. Ce livre m’a accompagné jusqu’à cette frontière où j’ai recommencé ma vie comme un fantôme.


Je délaissais peu à peu l’enseignement du tennis pour privilégier l’écriture. J’ai collaboré avec des journaux, puis coédité le supplément culturel Urubuquá avec María Escoto. À dix-huit ans, je publiais Crímenes diversos, un recueil salué par la critique, j'entamai également la rédaction de mon premier roman Olvido abierto, inachevé jusqu'à ce jour. Mais bientôt, je me tournais vers le cinéma, réalisant Con tinta negra (1993) au Chiapas. Puis, en 1995, La malscesa momento, coréalisé avec Pedro Sin Cerebro.


En 1997, après la mort de mon père, j’ai commencé à envisager des études de cinéma, mais la langue m’a rattrapé : sciences du langage, apprentissage progressif du français, de l’anglais, de l’italien, et presque de l’allemand. En 2000, j’ai découvert les films de mon oncle Téo Hernández, frère jumeau de ma mère, avec qui j’entretenais une correspondance longue et cruciale à mes débuts littéraires. Si, peu avant, j’avais découvert le cinéma avec Fellini, c’est à travers Téo que j’ai appréhendé la problématique de l’image. Ses films m’ont littéralement happé. En 2002, j’ai émigré en France pour étudier son œuvre.

Une histoire du cinéma en trois générations

Brevet d’invention de 15 ans pour « Appareil à l’obtention et à la vision des épreuves chrono-photographiques.


Au cours d’une conférence donnée à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales en 2015 à l’occasion d’un hommage qu’on lui rendait, Alain Cavalier a rappelé la brève histoire du cinéma à travers un fait singulier : son père avait le même âge que Renoir, Jean, et son grand père celui de Louis Lumière. Né en 1931, il était la troisième génération de l’histoire du cinéma, de quoi penser qu’aujourd’hui tout était à refaire, à réinventer. Ce même contexte évoqué par l’auteur d’Irène, nous le retrouvons dans l’entretien réalisé par Éric Rohmer, de Jean Renoir et d’Henri Langlois à la sortie de la projection des films des frères Lumière à la cinémathèque française en 1968. Du fait des propos discutés et les enjeux soulevés, la conversation est assez éclairante sur l’évolution du dispositif dans cette si courte histoire. Elle réunit trois générations, celle de l’aîné dont les films sont évoqués et visionnés, celle de Renoir et Langlois —première génération à les avoir intégrés dans leur imaginaire, et celle de Rohmer, né en 1920, qui guide l’entretien et qui a les yeux, pour ainsi dire, tournés vers l’avenir.

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Les conditions favorables à la réalisation d’un tel projet ont été réunies grâce à une série de prestations pour des universités, dans le domaine de la didactique des langues, et notamment autour de l’écriture et de la production d’une épreuve d’écoute en anglais. L’enjeu d’environ une cinquantaine de sketchs était l’humour. Armé d’un esprit pataphysicien et avec la complicité de Rocío Delmote, la création audio de cette épreuve de "listening" ainsi que l’élaboration de programmes d’études en français et en anglais ont sans doute facilité mon intégration dans le marché du FLE en région parisienne. Tel un aveugle guidant d’autres aveugles — pour la plupart des jeunes maghrébins primo-arrivants, je suis devenu leur référence en langue française.

En dehors de ce cadre professionnel qui m’accueillait, j’ai hérité d’une panoplie d’amis issus de l’entourage de Téo, qui m’ont initié au Super 8. Jamais je n’oublierai le sourire de Joseph Morder, sortant de son sac une bobine Kodachrome et la levant telle une hostie pour me l’offrir. C’est de cette bobine qu’est tiré mon tout premier film en Super 8, Hymeneus heliantus, une pure abstraction.

Pepito copie

Parallèlement aux diverses missions qui se déclinaient selon les dispositifs en FLE, FLS, FLI, ALPHA,  et dans lesquelles j’ai parfois réussi à utiliser une caméra, comme dans le film Zénebou, aide-soignante (2010), réalisé dans le cadre d’Avenir jeunes pour le concours Je filme le métier qui me plaît, j’ai commencé à animer deux ateliers au sein de l’Etna, atelier expérimental de cinéma : Le montage vu de l’Etna : enjeux du montage numérique et Incipit : réalisation d’une première séquence en Super 8. Au fil des années, le contenu développé dans ces deux workshops est devenu le mémoire Catégories de lecture pour un cinéma de recherche, correspondant à un Master, ainsi que la deuxième partie de ma thèse doctorale, Transparence et opacité du dispositif cinématographique. Ces deux textes, qui proposent des approches de la forme filmique, m’ont permis de développer, pendant deux années consécutives, en tant qu’attaché temporaire d’enseignement et de recherche à l’EHESS, le séminaire Quel cinéma pour aujourd’hui ? De la trace à l’écran et Quel cinéma pour aujourd’hui ? Ontologie de la trace. J’enseignais aux jeunes à lire et à écrire des images, tout comme je l’avais fait auparavant avec un public en situation d’illettrisme. De la reproduction du langage dans l’image graphique de l’écriture à la reproduction photographique dans un film, il n’y avait qu’un pas.

Après la réalisation du film Det snöar om björken (2014) — Il neige autour du bouleau, coréalisé avec Joel Grip, nous avons fondé la maison de production Umlicht Films, initialement rattachée à son label musical Grip Music, lui-même connu grâce à l’impulsion du collectif Umlaut Records. Basée à Douarnenez, Umlicht Films a lancé en 2022 l’appel à projets pour la résidence Umlicht Films Super 8 Project. J’ai toujours aimé accompagner les autres dans l’émergence de leurs films. Cependant, après ce premier appel, aucune suite n’a vu le jour. Cela m’a conduit à recentrer mes efforts sur mes propres films : un premier long-métrage de fiction en breton, Klevomp ar brini, Tadig, ainsi que ≠Disjonctions, une trilogie documentaire conçue avec la complicité amicale de Dominique Dubosc.